L’église Saint-Étienne de Lille

Que ce lieu est terrible! C’est véritablement la maison de Dieu et la porte du Ciel : et on l’appellera le palais de Dieu. – Genèse XXVIII : 17 & 22, introït de la messe de la Dédicace

Introduction

L’actuelle église Saint-Étienne de Lille, malgré son homogénéité architecturale, possède une histoire complexe, témoignant des troubles ayant agité l’histoire de la cité flamande au xviiie siècle. Avant d’aborder notre bref panorama historique et architectural, il convient de préciser que notre église était, à l’origine, la chapelle du collège des Jésuites de Lille. Suite à l’expulsion des Jésuites de France sous Louis XV, puis à la destruction de l’église paroissiale Saint-Étienne en 1792, celle-ci fut réaffectée au culte paroissial sous le vocable du protomartyr en 1796. Après une rapide évocation de l’ancienne église paroissiale, nous dresserons donc une brève présentation historique et architecturale de la seconde chapelle des Jésuites, à travers les deux phases principales de son existence. Nous conclurons par une présentation sommaire de quelques-uns des objets remarquables qui constituent le patrimoine de notre église.

L’ancienne église Saint-Étienne de Lille (av. 1066-1792)

Mais comme il était plein de l’Esprit-Saint, levant les yeux au Ciel, il vit la gloire de Dieu, et Jésus qui était debout à la droite de Dieu ; et il dit : Voici que je vois les Cieux ouverts, et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu. – Actes VII : 55-56, récit du martyre de saint Étienne.

Située sur la Grand’Place, à l’emplacement de l’actuelle rue des Débris-Saint-Étienne, l’église paroissiale Saint-Étienne était jadis l’un des plus importants édifices religieux de la ville de Lille. Son existence est attestée par la célèbre charte de 1066, qui la localise sur le forum : le document atteste de la cessation de son autel par le comte de Lille au chapitre de la collégiale Saint-Pierre. Selon Nicolas Dessaux, le vocable de Saint-Étienne pourrait provenir du maître-autel de la cathédrale de Tournai, dédié au Protomartyr ; d’après le même auteur, l’église pourrait donc être soit contemporaine, soit antérieure à la collégiale. L’histoire de l’église Saint-Étienne est ainsi liée aux premières données connues sur l’ancienne ville de Lille.

Xavier Rousseau entreprit d’importantes fouilles à l’ancien emplacement de l’édifice en 1983-1984. Il exhuma des vestiges des XIVe et XVe siècles, ainsi qu’une église romane primitive à chevet plat dont le bras nord du transept s’achevait, à l’Orient, par une chapelle orientée de plan hémicirculaire. Ces vestiges s’avéraient difficiles à dater ; l’archéologue mit toutefois au jour une tombe à alvéole céphaloïde, permettant une estimation aux alentours du XIe siècle. Il est impossible, en l’état, d’affirmer qu’il s’agirait ici de la première église Saint-Étienne ; quoi qu’il en soit, la datation de l’archéologue correspond à la mention faite par la charte de 1066.

Les informations au sujet des différentes phases de la reconstruction gothique sont lacunaires. Saint-Étienne présentait une nef unique jusqu’au XIVe siècle. Jean Hangouart, bourgeois lillois, grand donateur de la paroisse, finança la construction du vaisseau septentrional aux alentours de 1360. La vaisseau méridional ne sortit de terre qu’un demi-siècle plus tard, à partir de 1417. Le chœur fut allongé au XVe siècle, tout en conservant une disposition à chevet plat dans un premier temps ; par la suite, il fut doté d’une abside à cinq pans précédée d’une travée droite et flanqué de deux chapelles de plan rectangulaire. Un nouveau clocher fut bâti à partir de 1519. Le transept, rendu non-saillant par ces modifications du plan, fut allongé en deux phases. La deuxième eut lieu en 1600. Deux vaisseaux supplémentaires furent adjoints au monument au début du XVIIe siècle.

Les ressources iconographiques figurant ce monument disparu rendent particulièrement difficile la reconstitution de son élévation. En revanche, son plan est bien connu grâce au plan de Lille de 1745, conservé aux Archives municipales, qui permet d’envisager avec précision les dispositions offertes par l’édifice à la veille de sa destruction : on peut y distinguer l’ensemble des phases susmentionnées, et la présence de dix autels. La représentation en élévation contemporaine la plus complète est livrée par le plan Guichardin de 1559 : celui-ci figure un édifice de plan basilical, précédé d’une haute tour-porche. En revanche, les représentations du XIXe siècle figurent une église- halle ; nous pouvons poser l’hypothèse d’un surhaussement des collatéraux lors de la construction des deux derniers vaisseaux aux alentours de 1600. Le clocher-porche présente des aspects singulièrement variables selon les sources.

L’ancienne église Saint-Étienne fut consumée par un incendie provoqué par les boulets rouges autrichiens lors du siège de la ville en 1792.

Les premiers temps de la Compagnie de Jésus à Lille (1590-1740)

Qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le Ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu le Père. – Philippiens II : 10-11, introït de la messe de saint Ignace.

Avant de traiter de la seconde chapelle du collège des Jésuites, il convient d’évoquer brièvement les origines de la présence de la Compagnie de Jésus à Lille, phare de la réforme catholique en Flandre aux côtés des Capucins. Pour plus d’informations, on consultera avec profit l’ouvrage d’Alain Lottin publié en 2013, intitulé : Lille, citadelle de la Contre-Réforme ? (1598-1668. Après plusieurs expériences apostoliques fructueuses, et malgré quelques vives oppositions, les Jésuites s’installèrent à Lille en 1590, grâce à l’appui de l’évêque de Tournai. Le 26 juillet 1605, le Magistrat de Lille leur offrit le fief de Beaufremez, situé dans la partie agrandie de la ville, afin que ces derniers puissent édifier leur nouveau collège ; la ville était alors prête à fournir d’importants efforts financiers pour se doter d’une telle fondation. Les ressources nécessaires furent procurées par voie d’imposition et la première pierre du collège fut posée le 22 mai 1606 par le comte d’Annappes.

La première pierre de l’église fut posée le 10 juillet de la même année. Celle-ci, de style gothique, fut bâtie selon les plans du Frère Hoeymaker. L’église, la première de la région à être placée sous le vocable de l’Immaculée Conception et la première de la ville à être consacrée à la Bienheureuse Vierge Marie, fut consacrée le 16 octobre 1611 par l’évêque de Tournai. Au XVIIe siècle, la vaste église des Jésuites était au cœur de la vie religieuse lilloise. Son architecture, comme celle du collège dans son ensemble, était somptueuse et imposante, comme en attestent quelques brèves descriptions et une unique source iconographique. Le Père Lhermitte l’évoquait ainsi en 1638 : « elle embrasse, par l’amplitude de ses trois nefs, toute la ville, la ravissant par la beauté de sa forme, la taille de ses piliers… la splendeur de ses ornements, la rareté et la variété de toutes ses pièces ». Le style gothique de l’édifice s’expliquait, selon Louis Trénard, par le respect des Jésuites pour les formes architecturales traditionnelles des régions dans lesquelles ils s’installaient. Le maître-autel de cette première église accueillait une œuvre de Rubens : Saint Michel terrassant les anges rebelles.

La présence de la Compagnie porte de grands fruits ; dans une lettre, le Père Coster fait dire aux calvinistes : « Sans ces Jésuites, nous étions maîtres de la ville ». Le collège devint le siège de la province gallo-belge en 1612. Il accueillait environ cinq-cents élèves. De nombreux Lillois entrent dans la Compagnie. Par leur intégrité, leur zèle et leur organisation, les Jésuites surent correspondre aux attentes du peuple, bien au-delà des strates favorisées de la population. Leur apostolat, fondé sur les sacrements, la prédication, l’éducation, et les œuvres de charité, gagne de nombreuses âmes ; fidèles à leur fondateur, ils organisent des retraites selon les Exercices spirituels.

Hélas, dans la nuit du 8 au 9 octobre 1740, ce premier collège fut ravagé par un incendie, qui emporta également la chapelle. Sa reconstruction allait aboutir à l’édifice qui nous est parvenu.

La nouvelle chapelle du collège des Jésuites (1743-1765)

Cette maison est celle du Seigneur, elle est solidement bâtie, elle est bien fondée sur la pierre ferme. – Antienne des vêpres de la Dédicace.

L’édifice qui nous occupe correspond à la reconstruction du collège sinistré, entreprise au milieu du xviiie siècle. Pour une étude approfondie, on consultera avec profit l’opuscule d’Henry Leclercq intitulé : L’église Saint-Étienne de Lille, qui constitue la seule monographie publiée à ce jour sur notre église.

Les supérieurs approuvèrent une reconstruction selon les plans de Dominique Delesalle, architecte lillois, en 1743. François-Joseph Gombert, neveu du célèbre architecte Thomas-Joseph Gombert, fut nommé comme architecte d’exécution. Il convient de signaler que l’historiographie offre des témoignages discordants au sujet de l’identité de cet architecte. Dans le domaine de l’architecture religieuse, François-Joseph Gombert est également connu pour avoir construit l’abbatiale de Loos, aujourd’hui disparue. La première pierre fut posée le 6 juin 1743. L’année 1744 fut marquée par un ralentissement des travaux dû à la guerre de succession d’Autriche ; ceux-ci reprirent en 1745.

Le gros-œuvre fut terminé le 14 octobre 1747. Le couvrement du vaisseau central et du bas-côté droit furent réalisés dans un second temps. L’année 1748 vit la pose des barlotières, et le pavage de l’église en marbre blanc et noir provenant de l’ancienne chapelle – celui-ci fut renouvelé par Albert Contamine en 1883. S’ensuivirent l’inauguration et la bénédiction des vaisseaux le 29 novembre 1748. L’édifice fut consacré le 12 octobre 1750 par Monseigneur François de Salm-Reiffenseidt, évêque de Tournai. Nous n’avons pas connaissance de son vocable, mais nous pouvons supposer que cette nouvelle église était également placée sous le patronage de l’Immaculée Conception.

L’église présente un plan basilical à trois vaisseaux, sans transept. Sa nef compte sept travées. Le sanctuaire prend la forme d’une abside en demi-cercle ; les deux collatéraux sont terminés par deux chapelles orientées hémicirculaires. La deuxième travée, légèrement plus large, ouvre aujourd’hui, au nord, sur la chapelle des fonts, et au sud sur un oratoire abritant un calvaire ; nous ignorons si cette disposition préexistait aux modifications du XIXe siècle. L’église présente un voûtement en berceau à pénétrations au vaisseau central, s’achevant par une voûte en cul-de-four portant le monogramme IHS, dominant le sanctuaire. Les bas-côtés sont voûtés d’arêtes et s’achèvent par de simples culs-de-four. Le clocher, sur plan carré, s’élève au nord du chœur. Celui-ci culmine, en comptant son beffroi reconstruit en 1854, à 57 mètres. L’église, dans son entièreté, mesure 61 mètres de long et 29 mètres de haut.

Les élévations, d’ordonnance classique, font état de trois matériaux : la craie blanche de Lezennes est employée en façade, ainsi que pour les ailerons et chaînages extérieurs, cohabitant avec la brique rouge. À l’intérieur, la pierre bleue de Soignies domine pour les organes de soutien, chapiteaux et corniches ; les murs sont constitués de brique enduite. L’élévation extérieure, en grande partie invisible depuis la rue, est d’une grande sobriété ; attardons-nous seulement sur la façade, malheureusement fort détériorée et difficile à interpréter depuis la rue. Celle-ci comporte trois niveaux d’élévation, superposant, de façon inhabituelle, deux niveaux d’ordre corinthien à un premier niveau ionique. Sur la corniche, des pots à feu chargent l’aplomb des deux pilastres à chaque extrémité du premier niveau ; cette disposition se retrouve au second niveau, où l’on distingue un unique pot à feu de part et d’autre. Le premier niveau est percé d’un unique portail en plein cintre, accueillant une riche porte en bois sculpté ; le second est ajouré d’une fenêtre en plein cintre aujourd’hui condamnée ; le troisième, correspondant au comble, est percé d’un oculus. Le fronton sommital, circulaire, porte le millésime de 1747 et le monogramme du Saint Nom de Jésus, emblème de la Compagnie.

L’élévation intérieure hiérarchise les espaces en fonction de la dignité des ordres : le vaisseau central présente donc des pilastres corinthiens, dont les chapiteaux sont dorés au niveau du sanctuaire ; les grandes arcades reposent, à l’intrados, sur des pilastres toscans, et l’ordre ionique règne aux collatéraux. Le sanctuaire était jadis éclairé par deux niveaux de vastes baies en plein cintre ; celles de la travée centrale ont été aveuglées au XIXe siècle pour permettre le déploiement du décor peint.

Le style de l’église, débattu par l’historiographie, ne peut être qualifié de manière catégorique ; si nous pouvons admettre une lointaine influence du Gesù, église-mère de la Compagnie à Rome, celle-ci nous semble surtout tenir aux formes communes de l’architecture de son siècle. Les matériaux et l’ordonnancement général de la façade et de l’édifice tout entier semblent plutôt relever du style proprede l’architecture religieuse de l’époque moderne à Lille, également observable dans les églises Saint-André et Sainte-Marie-Madeleine, ainsi que dans les chapelles militaires du Réduit et de la Citadelle.

L’expulsion des Jésuites de France à la suite d’une funeste conjuration janséniste et gallicane prit effet en 1765 à Lille. La chapelle resta attachée au collège, désormais communal. Dès 1778, cependant, les bâtiments du collège allaient être utilisés comme hôpital militaire – qui donna son nom à l’actuelle rue. François-Joseph Gombert fut chargé d’effectuer des transformations en 1781. La chapelle fut affectée à l’hôpital à partir de 1783, prenant alors le vocable de Saint-Louis.

En 1791, la chapelle fut désaffectée au culte, mais la municipalité refusa de la céder pour qu’elle serve de temple de la Raison. Les messes, baptêmes et mariages étaient alors célébrés par l’Abbé Dartois dans la cave du 62 rue Saint-Étienne. En 1792, la chapelle fut utilisée comme siège de la « Société des Amis de la Constitution », dirigée par l’Abbé Charles-Louis Bécu, ancien Doyen. De 1793 à 1796, l’église servit de manège militaire. Malgré ces profanations, qui causèrent la perte de toute le patrimoine liturgique, artistique et mobilier de l’église, l’édifice semble avoir été préservé durant cette période – à l’exception du beffroi, décapité par les boulets autrichiens en 1792.

Saint-Étienne, église paroissiale (1796-aujourd’hui)

Ma maison sera appelée une maison de prière, dit le Seigneur. Quiconque y demande reçoit ; et celui qui cherche trouve ; et on ouvrira à celui qui frappe. – Matthieu XXI : 13, communion de la messe de la Dédicace.

Le 5 septembre 1796, la municipalité attribua cinq églises au clergé assermenté, parmi lesquelles la chapelle des Jésuites. Celle-ci devint alors paroissiale en quittant le vocable de l’Immaculée Conception pour prendre celui de l’église Saint-Étienne, récemment détruite sous le feu autrichien. Cependant, elle fut temporairement fermée dès le mois d’octobre 1797, dans un climat d’anticléricalisme. En 1802, l’église était à nouveau desservie par deux curés constitutionnels, les abbés Deledeuille et Bécu – ce dernier retrouvant son titre de doyen jusqu’à sa mort en 1819. La même année 1802, l’édifice fit l’objet d’une campagne de consolidation sous la responsabilité du maître charpentier Étienne Bottin. De 1813 à 1814, l’église allait encore être réquisitionnée pour un usage profane : il s’agissait d’accueillir les blessés des dernières campagnes napoléoniennes.

On doit au XIXe siècle le somptueux décor de boiseries du chœur, qui ne présentait pas de décor jusqu’en 1834 – nous pouvons supposer qu’un décor préexistant avait disparu sous la Révolution. Les lambris et les clôtures de bois furent dessinées par Charles Benvignat, célèbre architecte lillois ; leur sculpture fut confiée à l’entreprise Huidiez-Tierce, et la pose fut réalisée par Désiré Buisine, qui avait assuré le gros œuvre. La dorure des boiseries fut assurée par Charles Stalars. Ce dernier réalisa, à la même époque, les peintures murales du chœur et des absides, ouvrant l’architecture sur un décor imaginaire de vaste église romaine. Désiré Buisine est également l’auteur des stalles, achevées en 1835, ornées d’un décor d’anges évoquant le verset : « Je Vous chanterai des hymnes en présence des Anges » (Psaume CXXXVII : 1).

En 1856, les marguilliers acquirent la maison voisine, appartenant à la famille Damerin-Grieu, afin d’y aménager un couloir de dégagement encore employé aujourd’hui. Celui-ci communique aujourd’hui avec la chapelle de la paroisse polonaise. En 1897, la façade fut restaurée sous la direction de l’architecte Albert Contamine.

Le 29 juillet 1910, un grave incendie, documenté par quelques photographies emporta la toiture en épargnant globalement les voûtes et les aménagements intérieurs.

Depuis 2017, l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre dessert l’église Saint-Étienne, conjointement aux prêtres de la paroisse Saint-Eubert, afin d’offrir aux catholiques de la région lilloise un lieu de culte selon la forme antique du rite romain.

Le patrimoine liturgique, mobilier et artistique de l’église Saint-Étienne

Seigneur, j’ai aimé la beauté de Votre maison, et le lieu où habite Votre gloire. – Psaume XXV : 8.

Reliquaire de la Vraie-Croix

L’église Saint-Étienne possède une relique de la Vraie Croix, dont l’authenticité a été étudiée par Monseigneur Dehaisnes, ecclésiastique et archiviste du Nord. Celle-ci, rapportée de Constantinople par Gauthier de Courtray, fut donnée au chapitre de la collégiale Saint-Pierre de Lille en 1209. Le 14 septembre 1792, en la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix, deux individus – probablement des pillards – revendirent à Casimir-François Faucompré, marguillier de Saint-Étienne, un lot d’objets précieux dans lequel se trouvait la relique. La collégiale ayant été détruite en 1792, celui-ci en fit don à son église. La relique fut reconnue par Monseigneur Belmas, évêque de Cambrai, en 1837. À la demande du doyen, celle-ci fut placée dans un nouveau reliquaire précieux en 1854.

Notre-Dame de Grâce

La statue de Notre-Dame de Grâce, parfois appelée Notre-Dame de Délivrance ou Notre-Dame d’Annay, possède une longue histoire. Elle était jadis vénérée à l’abbaye cistercienne féminine d’Annay (Pas-de-Calais). Comme le relate un article du Bulletin de Notre-Dame de la Treille de 1902, celle-ci avait été, à l’origine, sculptée pour Pont-à-Vendin ; le chariot qui la transportait s’arrêta miraculeusement à l’abbaye d’Annay, les chevaux refusant d’aller plus loin. Elle y demeura donc, et il plus à la Reine des Anges d’accorder de nombreuses grâces à ceux qui venaient se recueillir à ses pieds. D’après Henry Leclercq, on l’invoquait pour la guérison de la gravelle. Durant la Révolution, laquelle l’abbaye fut pillée. Dame Louise Reys, religieuse de l’abbaye, sauva la statue et la confia à sa consœur Dame Selosse alors qu’elle-même allait trouver refuge en Hollande, puis en Allemagne. Un paysan se chargea de l’emmener à Haubourdin, cachée sous des bottes de foin. Lorsque Dame Louise Reys revint en France, elle vécut une vie de retraite dans un appartement où l’on avait transporté sa statue.

La mort approchant, sur le conseil de sa nièce, Madame Eeckman-Cordonnier, elle résolut de léguer la statue à l’église Saint-Étienne afin qu’elle soit accessible à la dévotion populaire. Durant la procession jubilaire de Notre-Dame de la Treille, grand évènement de la vie catholique à Lille en 1854, elle fut portée sous le nom de « Trône de la Sagesse ». Par la suite, jusqu’en 1888, elle demeura au couvent des sœurs de Bonsecours. Justine Eeckman, à l’heure de la mort, chargea Madame Desnoulez-Cordonnier d’intervenir auprès du doyen pour que la statue retrouve Saint-Étienne, ce qui fut fait le 15 août 1891. En 1892, Notre-Dame de Grâce fut placée à l’emplacement que nous lui connaissons, dans une niche ouvragée offerte par les « Dames et Demoiselles » de Saint-Étienne et réalisée par l’architecte tourquennois Maillard. Le 8 décembre 1893, une confrérie fut érigée en son honneur, sous le vocable de Notre-Dame de Grâce. Au début du XXe siècle, durant la querelle des inventaires, elle fut cachée avant de retrouver son emplacement pour ne plus le quitter.

Cette statue de la Vierge à l’Enfant est en bois sculpté. D’après Monseigneur Lotthé, elle mesure environ 1 mètre 15. Son sceptre était, à l’origine, une branche fleurie. En 1853, Charles Buisine-Rigot, auteur des stalles de l’église Sainte-Catherine de Lille , entreprit de restaurer la statue ; il refit ainsi « la tête et les mains de l’Enfant-Jésus, la couronne et ne main de la Sainte Vierge, le dos, le monstre, le tout en bois de chêne ». Charles Stalars, auteur des peintures monumentales de l’église, réalisa la polychromie et la dorure la même année. L’antiquité de la statue s’observe particulièrement dans les drapés et le traitement du trône. D’après Henry Leclercq, elle pourrait dater du xive siècle. La datation en est difficile, en raison de la polychromie. Sa composition, typique du Moyen Âge central, appartient au type dit Sedes Sapientiæ (Trône de la Sagesse). Sous les pieds de Notre-Dame, on peut observer le dragon, accomplissement de la promesse divine (Genèse III : 15) : « Et je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité ; celle-ci te meurtrira à la tête, et tu la meurtriras au talon. » Elle est, encore aujourd’hui, invoquée avec ferveur par les fidèles de Saint-Étienne, et de nombreux ex-voto témoignent des grâces reçues par son intercession.

Chaire de Vérité

La chaire de Saint-Étienne fut réalisée entre 1824 et 1825. Elle fait partie des objets mobiliers les plus connus de l’église. Les marguilliers décidèrent de sa construction en 1824, en remplacement d’une chaire jugée « chétive et mesquine ». Le devis, dressé par l’architecte Charles-Louis Verly, fut approuvé en 1825. Désiré Buisine, patriarche d’une célèbre dynastie de menuisiers lillois, fut chargé de son exécution. Huidiez exécuta les draperies de l’abat-voix, et le peintre Stalars fut chargé des dorures. Après une longue étude des sources, l’auteur du programme sculpté a pu être identifié : il s’agit de François Rude, célèbre sculpteur, notamment connu du grand public pour la Marseillaise de l’Arc de triomphe de Paris. Le principal morceau de bravoure de l’ensemble est l’archange portant les draperies et pointant du doigt la croix accrochée face à la chaire. Cette composition rappelle la chaire de l’église Saint-André, œuvre de Jean-Baptiste Danezan datée de 1768. La chaire de Saint-Étienne fut mise en place en 1828. Elle est employée chaque dimanche par les chanoines de l’Institut.

Grand orgue

Le grand orgue, qui compte trente-neuf jeux, est l’œuvre de la maison Daublaine-Callinet ; il fut inauguré en 1840. Il fut restauré en 1855 par Ducroquet, en 1887 et 1901 par la maison Martin, successeur du célèbre Cavaillé-Coll, grand maître de la facture d’orgues au XIXe siècle. Les tuyaux, spoliés par les Allemands, durent être remplacés après la Première Guerre mondiale. L’instrument fut restauré en 1995. Le buffet reçut son aspect actuel, projeté par l’architecte Albert Contamine, en 1886. Il repose sur quatre colonnes de fonte masquées par des boiseries. Les sculptures, d’une facture très fine, figurent le saint Roi David entouré de deux anges. Le haut du buffet porte l’inscription : Laudate eum in chordis et organo (louez-Le avec les instruments à cordes et avec l’orgue), extrait du Psaume CL – le dernier du Psautier.

Bustes-reliquaires

Deux bustes-reliquaires en cuivre repoussé plaqués d’argent sont exposés dans le chœur. L’un figure saint Étienne, patron de l’église ; l’autre représente saint Charles Borromée, grand cardinal tridentin. Ces deux œuvres de grande qualité, datées du premier quart du XVIIIe siècle, proviennent de l’ancienne église Saint-Étienne. Celui de saint Charles Borromée a été exécuté vers 1722, sur le modèle de celui de saint Étienne. Ces bustes étaient portés en procession et occasionnellement proposés à la dévotion des fidèles, comme le montre un tableau daté d’Omer Bouchery daté de 1926 et conservé au musée de l’Hospice Comtesse. Les deux saints sont représentés avec une grande finesse, le front couronné d’un nimbe rayonnant. Saint Étienne porte la palme du martyre et la dalmatique ; saint Charles Borromée porte la mozette cardinalice. Le visage de saint Étienne est d’un classicisme très pur, évoquant les modèles antiques.

Le maître-autel

La partie centrale du maître-autel, en forme de tombeau et ornée de l’Agneau de l’Apocalypse, pourrait dater, d’après Henry Leclercq, d’avant la Révolution. Rien ne nous permet de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse. Une gravure de 1868 permet de constater qu’à cette époque, l’autel était déjà doté de l’exposition centrale, destinée à recevoir l’ostensoir et surmontée du crucifix ; les deux anges adorateurs, de part et d’autre, étaient également présents. En revanche, les deux médaillons qui participent grandement à la monumentalité de l’ensemble sont plus tardifs. Ceux-ci sont l’œuvre du sculpteur Édgar Boutry, et représentent l’histoire de l’invention – c’est-à-dire de la découverte – des reliques de saint Étienne par le prêtre Lucien. L’ensemble, en marbre polychrome, peut être rapproché du maître-autel de l’église Sainte-Catherine, toute proche.

Statue de la Vierge à l’Enfant

L’autel privilégié de la chapelle orientée septentrionale, dédiée à Notre-Dame, est orné d’une statue de la Vierge à l’Enfant d’une excellente facture, malgré son matériau modeste – celle-ci est en plâtre. Celle-ci est parfois qualifiée, par raccourci, de copie d’une œuvre du Bernin. En réalité, cette sculpture baroque a pour modèle la Vierge de la chapelle Saint-Joseph-des-Carmes de Paris, exécutée par le sculpteur Antonio Raggi sur le dessin du Bernin. L’œuvre fut commandée en 1835 par l’Abbé Augustin Lefebvre, doyen de Saint-Étienne, à un artiste italien connu sous le nom de Fridiani. Ce dernier n’a pas exécuté une copie servile, bien que les grands traits de la sculpture de Raggi se retrouvent dans son œuvre. Il convient de remarquer la modestie de la Vierge, son attitude contemplative et intérieure ; elle enveloppe l’Enfant Jésus de son manteau, geste délicat évoquant le prêtre enveloppant le Saint-Sacrement dans le voile huméral. L’attitude du Verbe incarné mêle l’innocence de l’enfance et la majesté ; de sa main droite, il adresse aux fidèles un signe de bénédiction.

Le Martyre de saint Étienne

La grande toile du Martyre de saint Étienne, œuvre de Victor Mottez, domine l’abside et forme la « toile de fond », selon l’heureuse expression d’Henry Leclercq, de l’action liturgique. L’artiste puisa son inspiration chez les maîtres italiens de la fresque, en particulier Raphaël, dont il chercha à rendre l’effet. Les sources nous renseignent abondamment sur cette œuvre, l’une des plus importantes de cet artiste très prolifique dans le domaine de la peinture religieuse lilloise du XIXe siècle. Victor Mottez a réalisé cette œuvre dans le cadre de son séjour à Rome, de juin 1836 à octobre 1837, sous la direction d’Ingres. La correspondance de l’artiste livre un témoignage digne d’intérêt ; il écrivait ainsi en 1839 : « Le saint Étienne auquel j’ai réfléchi partout a été commencé et se finit à Rome. J’attends la visite de M. Ingres pour y mettre la dernière main… La tête de mon saint Étienne m’occupe beaucoup. J’ai fait le portrait d’un jeune capucin, j’étais inquiet sur ce que M. Ingres en dirait. Il a été enchanté. Il m’a dit : « Le Saint tout entier est une chose trouvée, c’est à vous«  ». Après avoir figuré au Salon de 1838, l’œuvre fut installée à son emplacement actuel, remplaçant une Descente de croix de l’école de Rubens, désormais accrochée au-dessus de l’orgue.

L’œuvre est fidèle au récit du chapitre VII des Actes des Apôtres. Elle synthétise la vision de saint Étienne lors de son procès : « Voici que je vois les Cieux ouverts, et le Fils de l’homme debout à la droite de Dieu », et le moment de son martyre : « Et ils lapidaient Etienne, qui priait et disait: Seigneur Jésus, recevez mon esprit. Et s’étant mis à genoux, il cria à haute voix: Seigneur, ne leur imputez pas ce péché. Et quand il eut dit cela, il s’endormit dans le Seigneur […] ». On peut reconnaître Saul, futur saint Pierre, au premier plan. Trois angelots apportent au vainqueur la couronne de gloire et la palme du martyre. L’attitude angélique du martyr, revêtu d’une dalmatique blanche et levant les yeux vers le Ciel, évoque la brève description qu’en donne saint Luc dans le cadre de son procès : « Fixant les yeux sur lui, tous ceux qui siégeaient dans le conseil virent son visage comme le visage d’un Ange. »

Porte du tabernacle de la chapelle du Sacré-Cœur

Parmi les œuvres remarquables de l’église Saint-Étienne, il convient d’évoquer la porte du tabernacle de l’autel du Sacré-Cœur. Il s’agit d’un panneau d’argent repoussé et doré, disposé dans l’autel par le marbrier Charles Verly. Celui-ci pourrait faire partie d’un ensemble de trois panneaux. L’œuvre, signée par Simon Gérard, est datée de 1620. Son sujet, La Cène, la prédisposait à remplir la fonction de porte de tabernacle. Elle a pour modèle le tableau de Rubens sur le même thème, conservée à la galerie Bréra de Milan. L’attitude du Christ consacrant le pain et le traitement des draperies suspendues au plafond concordent tout particulièrement.

Bibliographie sélective

Cette brève notice échappe aux normes d’un écrit scientifique, et il nous semblait peu pertinent de la doter de notes de bas-de-page ; nous nous bornons donc à mentionner ici les quelques ouvrages qui nous ont semblé les plus utiles.

  • CHANTAL Julie, LALART Laurence, VIENNE Frédéric, Le patrimoine religieux à Lille : églises Saint-Maurice, Saint-Étienne, Sainte-Catherine, Saint-André, Lille, La Voix du Nord, 2003.

  • LECLERCQ Henry, L’église Saint-Étienne de Lille, Lille, Morel et Corduant, 1971.

  • LOTTHÉ Ernest, Les Églises de la Flandre française : territoire de l’ancienne châtellenie de Lille, Lille, S.I.L.I.C., 1942.

  • ROUSSEAUX Xavier, « Les fouilles de l’église Saint-Étienne à Lille. 1983-1984 », Revue du Nord, n°264, 1985, p. 141-147.

  • TRÉNARD Louis (dir.), Histoire de Lille, tomes 2-3, Toulouse, Privat, 1981-1991.